Islam et Jihad
Question : On lit le mot Jihad à plusieurs reprises dans le Coran… Une bonne fois pour toutes, de quoi s'agit-il ? Est-ce la même chose que ce que pratiquent ceux qu'on appelle Jihadistes et dont nous admirons les exploits dans le monde et parfois même chez nous ?
Sommaire de la réponse
1. Signification précise et complète du mot Jihad
2. Catégories de Jihad
3. Qui fait du Jihad de nos jours ?
4. Autres malentendus terminologiques
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1. Signification précise et complète du mot Jihad
Jihad signifie l'effort de résistance et de réforme, dans un cheminement vers la paix, appliqué aux champs spirituel, humain et social, dans le respect des valeurs de l'Islam
. effort : de l'individu, par la réflexion, la parole et les actes
. dimension de résistance : en réponse aux attaques internes (sa propre part d'ombre) et externes
. dimension de réforme : de soi et de son environnement, par l'éducation, le rappel et la médiation
. champ spirituel : résister aux oublis et à l'ignorance -en matière de foi- et se réformer par le rappel et l'éducation
. champ humain : résister aux oublis et à l'ignorance et se réformer par le rappel et l'éducation
. champ social : résister face à l'injustice, la pauvreté, le racisme, la corruption.. et réformer par l'éducation
. respect des valeurs de l'Islam : comme la préservation de la vie, la tolérance, la modération, la liberté de conscience
D'une façon résumée, Jihad est donc un processus basé sur l'effort et qui mène à la paix.
Du point de vue étymologique, Jihad provient de la racine JHD (les racines sont souvent composées de 3 lettres en arabe) : JHD signifie effort.
D'autres mots arabes sont tirés de la racine JHD :
- ijtihad : effort de réflexion (comme pour l'étude et l'interprétation des textes religieux, ou comme pour les études scolaires)
- moujtahed : celui qui fournit l'effort
- ijtahed : qui signifie 'fais des efforts' -mention qu'on trouve souvent en marge des bulletins scolaires quand un effort est demandé à l'élève, en arabe
- ajhada : qui signifie 'il a épuisé -sa propre personne ou quelqu'un ou quelque chose- par trop d'efforts'
- moujhad : fatigué par trop d'efforts
- moujahed et son pluriel moujahidoun : celui (et ceux) qui pratique(nt) le Jihad au sens de la définition détaillée plus haut.
2. Catégories de Jihad
Il existe trois catégories de Jihad, qui émanent de la définition même du Jihad et qui sont explicitement définies dans le Coran et la tradition du Prophète Muhammad :
- le plus grand Jihad (Jihad al-akbar ou Jihad al-nafs) : celui contre l'ennemi intérieur
- le plus petit Jihad (Jihad al-asghar) : celui contre des agresseurs pour se défendre ou défendre d'autres victimes d'agression
- le Jihad le plus noble (Jihad al-afdal) : celui de dire une parole juste face à un oppresseur ou un tyran
Jihad al-nafs est le Jihad (résistance et réforme) face à nos propres idées et émotions négatives (l'égo, la colère, la haine, la convoitise, la gloriole...), éclairé par la foi dans les enseignements de l'Islam. Ce Jihad est considéré comme le plus grand car il est bien plus difficile à accomplir qu’une bataille sur un front de combat militaire. C'est résister face au coté sombre de l'humain (porté par le bien mais aussi, tenté par le mal et maitrisant difficilement les émotions) pour se réformer et aller vers la paix intérieure et entre les hommes. Sourate 91, 7-10 "par l'âme et son harmonie, Il lui a inspiré son libertinage et sa piété, en vérité, l'homme qui purifie son âme sera sauvé, et celui qui la corrompt sera réprouvé".
Le Prophète Muhammad déploya un contingent de l’armée sur le front. A leur retour (victorieux), il leur dit : "Bénis soient ceux qui ont accompli le plus petit Jihad et qui doivent à présent accomplir le plus grand Jihad". Lorsqu’on lui demanda "Qu’est-ce le plus grand Jihad ?" le Prophète répondit : "Jihad al-nafs".
Existe-t-il un mode d'emploi pour effectuer ce type de Jihad ? Le Coran et la tradition islamique donnent des pistes (que les sciences humaines adoptent dans leur réflexion sur les façons de faire pour résister face aux épreuves et se réformer) :
. Réflexion (méditer sur la création, les bienfaits reçus -matériels et intellectuels, sa responsabilité, le but de la vie, le temps et l'âge...)
. Volonté et résolution (de se libérer de l’emprise des désirs maléfiques, de s'épurer, de mettre ses actions en conformité avec ses idéaux...)
. Introspection, évaluation, critique (s'auto-évaluer, être attentif à ses intentions)
. Engagement (commencer à agir)
. Gratitude (remercier Dieu de son aide dans cet effort)
Le plus petit Jihad (Jihad al-asghar)
Ce Jihad consiste à défendre et à protéger la foi de l’individu et ses droits. Le petit Jihad n’est pas toujours une guerre bien qu’il puisse parfois prendre cette forme (le mot Jihad et ses dérivés ont été mentionnés 31 fois dans le Coran alors que le mot guerre ne l’a été que 3 fois). L’Islam est la religion de la paix mais cela ne signifie pas qu’il accepte l’oppression.
L’Islam enseigne que l’on doive faire tout notre possible afin d’éliminer les tensions et les conflits. L’Islam promeut les moyens pacifiques pour mener au changement et à la réforme.
En réalité, l’Islam insiste sur le fait que l’on doit s’efforcer d’éliminer le mal par des moyens pacifiques sans avoir recours à la force autant que faire se peut.
Au cours de l’histoire de l’Islam, depuis le Prophète Muhammad et jusqu’à aujourd’hui, les musulmans ont, le plus souvent, résisté à l’oppression et ont lutté pour la liberté par des moyens pacifiques et non-violents.
L’Islam enseigne également une éthique convenable en cas de guerre. La guerre est permise en Islam, mais uniquement lorsque les autres moyens pacifiques comme le dialogue, les négociations et les traités échouent. La guerre est le dernier recours et doit être évitée le plus possible. Son but n’est pas de convertir les gens par la force, ni de coloniser les peuples, ni d’acquérir indûment des terres, des richesses ou une gloire quelconque. Son but fondamental est la défense des personnes, des biens, de la terre, de l’honneur et de la liberté, aussi bien pour soi-même que pour les autres peuples qui souffrent de l’injustice et de l’oppression. (lire concernant ce type de Jihad "Les cas exceptionnels autorisés de recours à la violence (légitime défense, etc.)" dans notre sujet "Islam et violence").
Donc, même ce type de Jihad ne se traduit pas systématiquement par le combat et la guerre. Il est plus souvent intellectuel et verbal. Sourate 25, 52 "Ne cède donc point aux infidèles ! Que ce Coran te serve à les combattre avec vigueur", c'est-à-dire, un Jihad via la parole et par les arguments du Coran.
Il est à noter que le plus petit Jihad est limité dans le temps et dans l'espace, d'où ce qualificatif de plus petit Jihad, comparé au plus grand Jihad qui lui est permanent.
Le Jihad le plus noble (Jihad al-afdal)
Agir et se mobiliser contre l'injustice et pour plus de justice par le moyen de ses actes, de ses propos et de son cœur, relèvent encore du jihad. Ainsi le Prophète décrivait-il la parole de celui qui parle de façon pacifique mais honnête et courageuse face aux tyrans et aux dictateurs : "Le meilleur Jihad est une parole de justice face à un souverain injuste".
3. Qui fait du Jihad de nos jours ?
Faisons-nous (et faites-vous, que vous soyez musulmans ou non) du Jihad ? Consciemment ou, à l'instar de Monsieur Jourdain, sans le savoir ?
Peut-on affirmer que l'Abbé Pierre et Mère Térésa faisaient du Jihad ? Oui : ils ont résisté et agi face à la famine et à la pauvreté, et ont contribué à réformer les esprits, dans le respect des valeurs de partage, de solidarité et de paix qui sont des valeurs de l'Islam.
Peut-on affirmer que les résistants français face à l'occupation faisaient du Jihad ? Oui : ils ont résisté face à l'agression et à l'occupation, et contribué à réformer le pays pour le rendre moins vulnérable et dissuader de futurs agresseurs, pour avoir la paix, dans le respect des valeurs de liberté, de justice, de dignité des hommes, de propriété et de préservation des vies humaines qui sont des valeurs de l'Islam.
Peut-on affirmer que les personnes qui se battent face à une maladie font du Jihad ? Oui : elles résistent face à l'épreuve de la maladie, et réforment leur façon de voir le monde et de 'se stresser', leur hygiène de vie, le respect de leur corps et de leur vie, dans un cheminement vers une paix intérieure, et dans le respect des valeurs de modération, de préservation de la santé et de la vie, qui sont des valeurs de l'Islam.
D'une certaine manière, à chaque fois que nous nous indignons et que nous faisons un effort de résistance face à une réalité injuste (pauvreté, injustice, corruption...) ou une épreuve difficile (ce qui se produit souvent dans la vie), et de réforme personnelle ou sociale, pour cheminer vers une paix intérieure et une harmonie entre les hommes, en agissant dans le respect de valeurs nobles (celles que l'Islam partage avec le Christianisme et les courants humanistes), c'est du Jihad ! C'est tout simplement le véritable sens du Jihad, très éloigné de la définition guerrière erronée (car d'une part, incomplète, et d'autre part, imprécise quand aux champs et limites des cas de recours à la violence).
4. Autres malentendus terminologiques
Nous sommes convaincus que la confusion commence par la confusion terminologique.
D'où viennent les confusions terminologiques concernant l'Islam ? A titre d'exemple, d'où provient la mauvaise traduction de Jihad par guerre ou guerre sainte ?
. cela ne provient certainement pas d'un manque de vocabulaire en arabe puisque les mots combat et guerre existent dans le coran (respectivement qital et harb) : ce sont simplement des notions différentes de celle de Jihad (lire concernant ces notions "Les cas exceptionnels autorisés de recours à la violence (légitime défense, etc.)" dans notre sujet "Islam et violence")
. cela provient d'un parallèle fait entre Jihad et les croisades. Ce parallèle, œuvre malheureuse de certains orientalistes, est infondé tellement les définitions de Jihad et de croisades sont éloignées. Jean et André Sellier, historiens, l'ont bien compris, qui traduisent ainsi le jihad : "… littéralement 'effort' et non 'guerre sainte'…" (Atlas des Peuples d'Orient, La Découverte, 1993, p. 17). Soulignons seulement ici que, insistant de la même façon sur la différence entre la notion coranique du Jihad et celle, biblique, du kherem – l'extermination sacrée –, le document publié par le Secrétariat du Vatican sous le titre Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans affirme : "Le Jihad n'est aucunement le kherem biblique, il ne tend pas à l’extermination, mais à étendre à de nouvelles contrées les droits de Dieu et des hommes" (cité par Maurice Bucaille dans La Bible, le Coran et la science, p. 118).
Le mot Jihad n'est pas le seul hélas à faire l'objet d'un malentendu terminologique. Nous avons établi le top 10 des "plus beaux" malentendus terminologiques concernant l'Islam :
- Islam (voir notre sujet consacré à ce mot : "Islam = Paix ou soumission ou .. ?")
- Allah (ce qui signifie tout simplement Dieu en Arabe -les chrétiens du Liban utilisent ce mot tous les jours et dans leurs prières, et non pas le dieu spécifique des musulmans qui serait un autre -plus belliqueux- que celui des chrétiens -plus gentil-)
- Jihad (qui vient d'être, nous l'espérons, clarifié)
- Islamisme (qui est l'équivalent de Christianisme ou de Judaïsme, mais dont vous connaissez la connotation négative actuelle et l'amalgame fait avec l'extrémisme violent)
- Charia (qui signifie tout simplement la voie pour que la vie du musulman soit en cohérence avec les valeurs de l'Islam, et non pas un système liberticide et inégalitaire que des barbus venus d'ailleurs voudraient imposer à la France et au monde)
- Fondamentaliste (qui signifie se basant sur les fondements de l'Islam, ce qui est positif quand on connait ces fondements, et non pas quelqu'un d'obtus voir d'extrémiste violent selon le contexte d'utilisation médiatique)
- Etat islamique (qui signifie un état qui pratique l'éthique et les valeurs de l'Islam, donc a priori c'est du positif, et non pas un regroupement d'extrémistes violents ayant des projets funestes et des méthodes barbares)
- Dhimmi (qui signifie 'qui relève de la conscience' des musulmans et qui s'applique aux non musulmans vivant dans un état musulman qui se charge de leur protection et de la protection de leur liberté de conscience, et non pas un non musulman vivant une ségrégation et une discrimination injuste dans un pays musulman)
- Parti de dieu (qui signifie ceux qui se mettent du côté des valeurs divines, ce qui est positif, et non pas le nom d'un parti politique et militaire libanais -en arabe, Parti de dieu est la traduction de Hezbollah)
- Halal (qui signifie tout simplement 'licite' que ce soit un comportement -pas uniquement alimentaire-, une parole, une pensée, et non pas un régime alimentaire basé sur du mouton égorgé dans une baignoire par un barbu en djellaba et que les musulmans veulent imposer dans les cantines à tous les enfants de France)
Face à ce genre d'erreurs de compréhension, nous avons décidé de lever les malentendus terminologiques en clarifiant le sens des mots fondateurs, et de ne pas abandonner l'espace des mots aux esprits malfaisants.
D'une certaine manière, en faisant cela, nous faisons du Jihad : nous résistons face à l'occupation de l'espace des mots (par des faussaires de l'Histoire qui opèrent des glissements dangereux de sens des mots importants, ce qui mène à la confusion et à la violence) et à l'ignorance, et nous contribuons à la réforme de la compréhension respective entre les francophones musulmans et non musulmans, pour cheminer vers la paix et la cohabitation harmonieuse, dans le respect des valeurs de liberté de conscience de chacun et de paix, qui sont des valeurs de l'Islam.